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lundi, novembre 17, 2025

« Mobiliser le capital privé et sécuriser les opportunités en Afrique : levier de développement ou pari risqué ? »

Face à l’ampleur des besoins, le continent cherche à attirer davantage d’investisseurs privés en combinant innovation financière, stabilité politique et intégration régionale.

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Priscilla Wolmer
Priscilla Wolmerhttp://www.54etats.com
FONDATRICE ET DIRECTRICE DU MÉDIA 54 ÉTATS

Pour accélérer sa transformation économique, l’Afrique doit mobiliser massivement le capital privé. Mais attirer ces investissements suppose de lever une série d’obstacles : gouvernance, risques politiques, fragilité monétaire ou encore manque de projets « bancables ». Dans un contexte où les besoins en infrastructures, énergie et industrialisation se chiffrent à plusieurs centaines de milliards de dollars, la question du « mobilising private capital & de-risking opportunities » devient centrale.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le continent devra attirer près de 200 milliards de dollars d’investissements annuels d’ici 2030 pour atteindre ses objectifs énergétiques. Or, sur ce montant, la part du secteur privé reste marginale. L’African Private Capital Association rappelle qu’en moyenne, 95 % du financement des infrastructures africaines provient encore du secteur public, contre à peine 5 % du privé. Ce déséquilibre freine l’innovation et limite la capacité de déploiement à grande échelle.

Le capital privé, moteur d’efficacité et d’innovation

Le capital privé représente bien plus qu’un relais financier. Il apporte une expertise technique, une rigueur de gestion, des standards de transparence et la possibilité d’amplifier les effets de levier lorsqu’il s’articule avec les financements publics ou multilatéraux. L’IFC, branche du Groupe de la Banque mondiale, souligne qu’elle s’efforce de « connecter des opportunités d’investissement durable à des capitaux commerciaux ».

Mais la réalité du terrain reste complexe. Les investisseurs se heurtent à une perception élevée du risque africain : instabilité politique, incertitude réglementaire, faiblesse des cadres juridiques et volatilité des devises nourrissent un climat d’hésitation. Entre 2004 et 2021, les pays d’Afrique subsaharienne ont payé en moyenne plus de deux points de pourcentage supplémentaires sur leurs émissions obligataires par rapport à d’autres régions, selon un rapport du Fonds d’équipement des Nations unies (UNCDF). Ce surcoût, souvent lié à des méthodologies de notation inadaptées, freine la mobilisation du capital.

Des marchés fragiles face à une perception du risque élevée

À ces risques institutionnels s’ajoutent des contraintes de marché. Les économies africaines présentent souvent des marchés de capitaux étroits, des volumes d’investissement plus faibles, et une liquidité limitée qui décourage les grands fonds internationaux. Dans certains secteurs stratégiques, comme l’énergie ou les infrastructures, les projets sont encore perçus comme trop techniques, trop longs ou trop incertains dans leur rentabilité.

Les technologies émergentes – réseaux décentralisés, mini-grids, gaz de transition – exigent des cadres contractuels solides et une vision à long terme que peu d’États ont encore mise en place. L’enjeu est donc double : réduire le risque perçu tout en renforçant la capacité institutionnelle de porter des projets d’envergure.

Le “de-risking” comme clé de confiance

Face à ces défis, plusieurs institutions internationales plaident pour une approche de blended finance – un financement mixte combinant capitaux concessionnels, garanties publiques et investissements commerciaux. Cette méthode, déjà utilisée par la Banque mondiale, la MIGA ou l’UNCDF, permet de réduire le profil de risque et d’attirer des fonds privés vers des projets jugés essentiels.

L’AIE insiste, elle aussi, sur la nécessité d’« accroître les financements concessionnels tout en mobilisant davantage de capital privé », considérant ce levier comme indispensable pour combler le déficit d’investissement dans les énergies propres.

Les exemples se multiplient. En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, de nouveaux instruments financiers mêlant garanties souveraines et capitaux de développement ont vu le jour, facilitant l’arrivée d’investisseurs institutionnels. En Tanzanie, l’UNCDF a permis, avec seulement un million de dollars de fonds initiaux, de débloquer vingt millions supplémentaires de capitaux domestiques, dont 65 % issus du secteur privé, pour financer une première obligation verte sous-nationale.

Des projets bancables pour un capital patient

Au-delà des outils financiers, le véritable enjeu reste la création de projets bankables, viables sur les plans technique, juridique et économique. Les États et les institutions régionales doivent constituer un pipeline solide de projets prêts à l’investissement, appuyé sur des études de faisabilité crédibles, des cadres contractuels transparents et des standards environnementaux et sociaux conformes aux attentes internationales.

En Afrique centrale, où les économies reposent sur les ressources naturelles, la mobilisation du capital privé revêt une dimension stratégique. Le gaz y est perçu comme un levier d’industrialisation, mais sa valorisation dépendra de la capacité des États à garantir un environnement clair et prévisible.

L’Afrique centrale à la recherche d’un cadre régional

La sous-région gagnerait à mutualiser ses efforts au sein de cadres communautaires – CEEAC, CEMAC – pour augmenter la taille critique des projets, harmoniser les politiques fiscales et améliorer la gouvernance. Une meilleure coordination institutionnelle permettrait de rendre les projets plus attractifs et de réduire les coûts de transaction.

La transparence, enfin, demeure le socle de toute politique de dé-risque. La publication des contrats, la traçabilité des flux financiers et la consolidation des critères ESG (environnement, social et gouvernance) permettent de réduire le « premium de risque » imposé par les marchés.

De la dépendance à la souveraineté

Mobiliser le capital privé n’est pas seulement une nécessité économique : c’est une condition de souveraineté. En réconciliant attractivité et stabilité, en rendant visibles les opportunités tout en maîtrisant les risques, l’Afrique peut transformer ses défis en leviers.

Le pari est ambitieux, mais il offre une perspective : celle d’un continent qui finance enfin son développement par lui-même, avec des partenaires, mais selon ses propres priorités.

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