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lundi, novembre 17, 2025

Alexis Mohamed Gueldon : « Le Djibouti d’Ismaïl Omar Guelleh est à bout de souffle »

Ancien conseiller du président devenu voix critique du régime, Alexis Mohamed Gueldon appelle à une transition démocratique et dénonce la dérive constitutionnelle en préparation pour 2026.

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Priscilla Wolmer
Priscilla Wolmerhttp://www.54etats.com
FONDATRICE ET DIRECTRICE DU MÉDIA 54 ÉTATS
Alexis Mohamed Gueldon, ancien conseiller du président de la République de Djibouti

54 ÉTATS : Votre dernière déclaration intitulée « Je dis chiche au Président de la République » a provoqué de vives réactions à Djibouti. Que vouliez-vous exprimer exactement ?

Alexis Mohamed : C’est simple. Pour moi, quand on admire une légitimité qui n’existe pas, il faut avoir le courage de confronter l’expression populaire et de mesurer sa popularité. Et donc, pour ce qui concerne cet énième coup d’État constitutionnel que le président Ismaïl Omar Guelleh est en train de commettre, je lui dis « chiche ». Chiche de soumettre cette « révision » par voie référendaire. Mais il sait profondément que ce rejet sera historique. De toute manière, il n’a jamais été le fruit d’un suffrage honnête.

54 ÉTATS : Vous parlez d’un « coup d’État constitutionnel » qui se préparerait pour 2026. Que voulez-vous dire par là ?

Alexis Mohamed : Comme vous le savez, le président sortant n’a plus le droit de se représenter au regard de la Constitution de 2010 qui limite l’âge pour être candidat à 75 ans. Le fait de vouloir faire sauter ce verrou pour son confort électoral — qu’il avait lui-même exigé à l’époque pour éliminer ses adversaires — est pour moi une violation indéniable des règles démocratiques. D’autre part, cet acte me semble être un mépris et un bras d’honneur à la République et à l’intelligence collective. Enfin, lorsqu’on a un bilan politique aussi désastreux, il faut savoir partir avant que la colère populaire ne le fasse à votre place. Et on sait comment certains qui s’accrochaient au pouvoir ont fini.

54 ÉTATS : Vous semblez défier directement le chef de l’État…

Je ne défie personne. Je défie simplement l’absurde, l’incohérence, le mensonge, le mépris et la relation incestueuse vis-à-vis de la République, de sa Constitution et de nos institutions. Parce que notre pays mérite mieux.

Alexis Mohamed : Non, je ne défie personne. Je défie simplement l’absurde, l’incohérence, le mensonge, le mépris et la relation incestueuse vis-à-vis de la République, de sa Constitution et de nos institutions. Parce que notre pays mérite mieux. Il a aujourd’hui besoin de souffler, de se réparer, de se réconcilier et de se reconstruire dans la paix, la sérénité, la justice et la cohésion.

54 ÉTATS : Vous avez été longtemps dans le premier cercle du pouvoir. Certains estiment que votre position actuelle relève plus du règlement de comptes que d’une conviction démocratique. Que leur répondez-vous ?

Alexis Mohamed : Je ne sais pas ce que vous entendez par avoir été dans le premier cercle du pouvoir, mais si vous me demandez qui j’ai servi, je vous dirai sans détour : uniquement la République. Je n’ai servi ni un homme, ni une institution, et encore moins un clan ou une tribu, parce que j’ai foi en la République et en ses valeurs plutôt qu’au reste. Je n’ai pas de problème personnel avec le président de la République, mais des divergences politiques profondes, tant sur l’immobilisme de sa politique générale que sur sa gestion de la chose publique et l’opacité dont il est friand.

La ligne rouge est, pour moi, ce coup d’État constitutionnel qui est en train de se dérouler, et que rien ne peut justifier, notamment lorsqu’on a failli à sa mission politique de servir uniquement la République et nos concitoyens. Lorsqu’on a mis notre jeunesse sur le banc de la société, qu’on a mis à genoux nos institutions publiques, qu’on a précarisé nos concitoyens, humilié nos forces armées et la police, déconsidéré nos enseignants et le personnel de santé, bloqué l’ascenseur social, gelé le salaire des fonctionnaires, bloqué le pouvoir d’achat des Djiboutiens, fragilisé le secteur privé, trahi nos partenariats, piétiné notre diplomatie et institutionnalisé la corruption et le détournement de deniers publics.

Toutes ces réalités devraient l’appeler simplement à partir. Pour le reste, il ne faut pas se fier aux commentaires de faux comptes gérés depuis la présidence et par le secrétaire général de la présidence en personne. Ces mêmes comptes sont ceux qui insultent certains membres du gouvernement, y compris des hauts cadres de la République.

54 ÉTATS : Que proposez-vous concrètement pour sortir Djibouti de ce que vous appelez « la dérive institutionnelle » ?

Alexis Mohamed : Vous savez, au regard du désastre existant sur tous les plans, il n’y a pas trente-six solutions. On ne reconstruit pas sur des ruines. Il faut tout raser pour tout reconstruire, car le pays est en lambeaux. Pour cela, il faut commencer par le début : poser le socle de l’architecture.

Comme je l’ai évoqué dans ma deuxième vidéo publique, je propose une alternance inclusive de 18 à 24 mois qui impliquerait — parce que la République est un projet commun de tous les Djiboutiens : les politiques, la société civile, les intellectuels, la diaspora et les sages. Elle reposerait sur huit engagements clairs :

  • Une transition de 18 à 24 mois pour refonder la République et transférer au peuple, à travers un régime parlementaire ou semi-présidentiel, le pouvoir confisqué depuis des décennies.
  • Mise en place d’un conseil citoyen consultatif et inclusif.
  • Un mandat transitoire non renouvelable.
  • Le retour aux libertés.
  • Une commission électorale réellement indépendante.
  • Une séparation nette entre l’État et le parti.
  • L’assainissement des finances et la lutte anticorruption.
  • Un calendrier public vers des élections libres.

54 ÉTATS : Durant votre temps passé à Djibouti, qu’avez-vous observé de la société djiboutienne, notamment dans vos échanges avec la jeunesse et ses aspirations ?

Alexis Mohamed : Comme beaucoup peuvent l’attester, y compris sur mes réseaux sociaux, ma porte a toujours été ouverte à notre jeunesse. J’ai reçu un grand nombre d’entre eux. Notre jeunesse est la première victime de la décadence politique actuelle. Muselée et mise KO, elle est au bord de l’asphyxie, sans aucune alternative. C’est tout un capital humain qu’on tue à feu doux. C’est autant d’énergies et d’idées qu’on assassine au quotidien.

Pourtant, une nation n’est rien sans sa jeunesse, ses projets, ses innovations, ses compétences et ses expertises. Notre diaspora se trouve malheureusement dans la même situation, car elle est considérée comme une ennemie dont les projets sont constamment bloqués.

54 ÉTATS : Quelles sont vos ambitions politiques aujourd’hui ? Souhaitez-vous jouer un rôle actif dans l’avenir du pays ?

Alexis Mohamed : Bien évidemment, je poursuivrai mon engagement politique envers mon pays et mes concitoyens. Bien sûr, j’ai des ambitions politiques pour changer la nature de ce qui se passe aujourd’hui. Vous savez, je suis natif de ce pays. C’est donc à celles et ceux qui ne se sentent pas à l’aise dans l’idée de servir mon pays de retourner d’où ils viennent. Ce pays appartient d’abord à ses fils et filles, pas à ceux qui sont venus téter ses mamelles et, en même temps, le mépriser comme ils méprisent ses natifs. Peut-être qu’on n’a pas l’habitude de parler aussi franchement, mais avec moi, cela continuera d’être le cas.

54 ÉTATS : Votre appel semble viser aussi les acteurs régionaux et internationaux. Attendez-vous une réaction ?

Alexis Mohamed : L’appel à nos partenaires de ne pas cautionner ce coup d’État constitutionnel n’enlève en rien que les premiers concernés par le changement sont d’abord les Djiboutiens eux-mêmes. L’action populaire doit se faire maintenant et à leur initiative.

Cependant, oui, nos partenaires — qui défendent haut les valeurs humaines et démocratiques ailleurs — doivent aussi être conscients de la situation à Djibouti, conscients de la réalité que vivent nos compatriotes, et qu’ils ne peuvent pas ignorer. Tout silence de leur part, notamment à l’égard de ce radeau de la Méduse, risquerait d’être perçu comme une complicité.

Ils ne doivent pas avoir peur. Le changement souhaité par les Djiboutiens ne remettra nullement en cause leurs intérêts ni les accords avec leurs pays, dès lors que toute discussion se fera dans un souci d’intérêt mutuel. Les véritables amis, nous les saurons. Mais c’est maintenant que les amitiés se jouent, pas demain.

54 ÉTATS : Un dernier mot pour les Djiboutiens ?

Alexis Mohamed : Le temps n’est plus aux doutes, mais au courage de l’acte de chacun, car la République a besoin de se reconstruire.

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