Le 1er juillet 2025, la Cour suprême de Dakar a définitivement tranché. Elle a rejeté la requête en rabat d’arrêt introduite par les avocats d’Ousmane Sonko, confirmant ainsi sa condamnation pour diffamation à six mois de prison avec sursis, assortie de 200 millions de francs CFA de dommages et intérêts. Cette affaire, qui l’opposait à l’ancien ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang, remonte à 2023, mais continue de susciter le débat, tant elle a influencé le cours politique du Sénégal.
Dans une salle d’audience étonnamment calme et clairsemée, bien loin de l’effervescence des audiences du temps où Sonko était dans l’opposition, le verdict est tombé sans fracas. Ni le plaignant, ni le Premier ministre n’étaient présents. Mame Mbaye Niang, ex-ministre et proche de Macky Sall, a quitté le pays depuis plusieurs mois. Son avocat a minimisé son absence, évoquant l’inutilité d’un billet d’avion pour un verdict attendu. Quant à Sonko, désormais chef du gouvernement, il a choisi de ne pas assister à l’audience. Une absence que l’avocat du plaignant, Me El Hadji Diouf, n’a pas manqué de commenter avec virulence, dénonçant le fait que « celui qui insultait la justice depuis des années n’a pas eu le courage de se présenter devant elle. »
Le recours des avocats d’Ousmane Sonko visait à faire annuler sa condamnation en s’appuyant sur un vice de procédure. Ils contestaient la conformité de certains articles du Code pénal sénégalais à la Constitution et souhaitaient un renvoi du dossier vers le Conseil constitutionnel. La défense n’a toutefois pas plaidé sur le fond, préférant insister sur ce qu’elle estime être une instrumentalisation politique de la justice. Pour eux, la plainte de Mame Mbaye Niang, déposée à la veille de la présidentielle de 2024, n’avait d’autre but que d’écarter leur client de la compétition électorale.
Et de fait, cette affaire a bouleversé le destin politique d’Ousmane Sonko. Le 8 mai 2023, il était condamné en appel pour avoir accusé Mame Mbaye Niang de détournement de fonds publics, sans jamais produire le rapport d’audit sur lequel il prétendait s’appuyer. Sa condamnation, confirmée par la Cour suprême en janvier 2024, l’a rendu inéligible à la présidentielle du 24 mars. En détention au moment des faits, poursuivi dans un autre dossier pour « complot contre l’État », Sonko n’avait pu se présenter. C’est finalement son allié, Bassirou Diomaye Faye, qui avait remporté l’élection. Le leader du Pastef est depuis devenu Premier ministre, figure centrale du nouveau pouvoir.
Cette affaire soulève également des questions sur l’application de la loi d’amnistie votée en mars 2024, puis amendée en avril par le gouvernement de Diomaye Faye. Cette loi efface les infractions à caractère politique ou liées à des manifestations entre février 2021 et février 2024, mais exclut les crimes graves comme les meurtres ou les actes de torture. La Cour suprême n’a pas précisé si la condamnation pour diffamation de Sonko pouvait être effacée au nom de ce texte. Le parquet avait pourtant recommandé de ne pas maintenir la sanction.
Ce silence entretient l’ambiguïté : s’agit-il d’une volonté de maintenir un casier judiciaire symbolique au passif du Premier ministre, ou d’une simple lecture rigide du droit ? Quoi qu’il en soit, la décision tombe à un moment délicat pour l’ex-opposant devenu chef de gouvernement. Il reste redevable des 200 millions de francs CFA à son ancien accusateur, et théoriquement frappé d’inéligibilité pour cinq ans – une durée qui, sauf revirement juridique ou amnistie explicite, pourrait encore peser sur ses ambitions futures.
La page judiciaire semble donc tournée, mais le parfum de revanche politique n’a jamais totalement disparu de ce dossier. La justice a tranché ; l’Histoire, elle, reste à écrire.