Une ligne de fracture s’est définitivement creusée au cœur de l’Afrique de l’Ouest. En janvier 2024, les juntes au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont annoncé leur retrait officiel de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dénonçant des sanctions « injustes » et une « ingérence étrangère inacceptable ». Quelques mois plus tard, elles proclamaient la naissance d’une nouvelle entité : la Confédération de l’Alliance des États du Sahel (AES). Cette structure, portée par un discours de rupture, marque un tournant dans la gouvernance régionale, les équilibres militaires et les alliances diplomatiques.
L’AES se présente comme une alternative souverainiste à la CEDEAO, accusée par ses détracteurs d’être un simple relais des intérêts français et occidentaux. Pour les régimes militaires de Bamako, Ouagadougou et Niamey, la confédération est d’abord une réponse politique à leur mise à l’écart du jeu régional. Elle vise à fédérer leurs trajectoires nationales, toutes marquées par des prises de pouvoir par la force, des transitions contestées et une défiance assumée envers les normes démocratiques de la CEDEAO. Ce regroupement institutionnel repose sur une rhétorique anti-impérialiste et un appel à la « renaissance africaine », très mobilisateur dans des opinions publiques lassées de l’instabilité chronique et de la pauvreté.
Mais au-delà de la symbolique, la viabilité de la Confédération de l’AES pose de nombreuses questions. Sur le plan sécuritaire, les trois pays restent confrontés à une insécurité endémique, aggravée par le retrait des forces françaises, puis de la MINUSMA. Malgré des annonces de mutualisation des armées et des achats conjoints d’équipements, les groupes djihadistes poursuivent leurs offensives meurtrières, en particulier dans les zones frontalières entre les trois États. L’interopérabilité militaire reste limitée, et les dispositifs conjoints ne suffisent pas à contenir l’expansion des menaces.
Diplomatiquement, les régimes de l’AES se retrouvent isolés. Les relations avec l’Union africaine sont distendues, la CEDEAO reste fermée à tout dialogue tant que les pouvoirs militaires refusent un calendrier crédible de retour à l’ordre constitutionnel. Le retrait de ces trois pays d’organisations multilatérales comme le G5 Sahel ou l’UEMOA réduit également leur accès aux financements régionaux et à l’intégration économique. Si des ouvertures sont amorcées vers la Russie, la Chine, ou la Turquie, elles ne compensent ni l’isolement régional ni la perte de partenaires techniques cruciaux pour les infrastructures, la santé ou l’éducation.
L’AES se trouve donc à un carrefour stratégique. Entre ambition d’émancipation et risque d’enfermement, ses dirigeants doivent prouver que cette confédération peut produire autre chose qu’un rejet de l’ordre ancien. Pour cela, il leur faudra bâtir une coopération économique concrète, répondre aux urgences sécuritaires, et montrer leur capacité à gouverner autrement que par la force. L’avenir du Sahel se joue autant sur le terrain militaire que dans les choix politiques à venir.