Le 6 mai 2024, Mahamat Idriss Déby Itno a été élu président du Tchad avec 61 % des voix, selon les résultats officiels. Une victoire saluée par certains comme l’aboutissement d’un processus de transition, mais perçue par d’autres comme la consolidation d’un pouvoir militaire hérité. Trois ans après la mort de son père, Idriss Déby, tué au front, le nouveau chef de l’État hérite d’un pays sous tension : opposition affaiblie, armée tout-puissante, société civile muselée et diplomatie sous surveillance.
Une élection sans réelle alternance
Le scrutin présidentiel s’est déroulé dans un climat politique verrouillé. La principale figure d’opposition, Succès Masra, ancien Premier ministre de transition, a reconnu sa défaite malgré les accusations de fraude. De nombreuses voix au sein de la société civile et de la diaspora dénoncent une élection jouée d’avance, sans transparence réelle. Le rapport d’observation de l’Union africaine évoque une « participation modérée » et une « campagne inégalement financée ».
Le pouvoir militaire, qui dirige de facto le pays depuis avril 2021, semble avoir simplement changé de costume. Le Conseil militaire de transition s’est auto-dissous à l’issue du vote, mais les mêmes figures conservent les leviers de l’appareil sécuritaire et administratif.
L’armée, pilier ou piège ?
Le nouveau président doit composer avec une armée hypertrophiée, historiquement loyaliste à la famille Déby. Depuis les années 1990, le régime repose sur une alliance entre certaines élites militaires du nord et les grandes familles du pouvoir. Cette militarisation du politique constitue à la fois un facteur de stabilité et un frein à toute démocratisation réelle.
Des tensions internes sont perceptibles : certains hauts gradés contestent la légitimité de Mahamat Idriss Déby en privé, tandis que d’anciens chefs rebelles dénoncent une « confiscation de la révolution » amorcée après la mort de son père. Le risque d’une fragmentation sécuritaire, dans un pays déjà miné par les conflits communautaires, reste élevé.
Quelle place pour la France ?
Paris, partenaire historique de N’Djamena, a gardé un silence mesuré sur le déroulement de l’élection. La présence militaire française, notamment via l’opération Barkhane (désormais réduite), reste un sujet sensible. De plus en plus de voix, notamment chez les jeunes, dénoncent l’« ingérence postcoloniale » et réclament une politique étrangère plus souveraine.
Mahamat Idriss Déby semble vouloir équilibrer les influences : relations renouvelées avec les Émirats arabes unis, ouverture vers la Russie, et maintien d’un dialogue prudent avec la France. Mais la dépendance sécuritaire du Tchad vis-à-vis de Paris reste structurelle.
Une marge de manœuvre limitée, mais réelle
Le président dispose d’un avantage : il est jeune, formé à l’étranger, et mieux connecté aux nouvelles générations. Il tente de se forger une image de modernisateur. Mais sa crédibilité dépendra de sa capacité à ouvrir l’espace politique, à dialoguer avec les forces d’opposition, et à engager des réformes de fond, notamment en matière de gouvernance, d’éducation et de lutte contre la pauvreté.
Le Tchad se trouve à la croisée des chemins. La transition annoncée peut déboucher sur une consolidation autoritaire ou sur un vrai tournant historique. Tout dépendra de la volonté du pouvoir d’accepter une contestation légitime, et de l’engagement des partenaires africains à soutenir un processus réellement démocratique.