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jeudi, mai 15, 2025

Le Nigeria légalise les cryptomonnaies : un tournant stratégique pour l’Afrique ?

En reconnaissant juridiquement les actifs numériques, le Nigeria pose les bases d’un secteur crypto plus structuré, susceptible d’inspirer d'autres pays africains et d'attirer davantage d'investissements.

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Aïssatou Faye-Johnson
Aïssatou Faye-Johnson
Correspondante au Sénégal

Le Nigeria vient d’opérer un virage majeur dans sa politique monétaire numérique. Un peu plus d’un an après avoir contraint Binance à cesser ses activités dans le pays, les autorités nigérianes ont adopté une loi historique qui accorde un statut légal aux actifs numériques. Cette décision, annoncée en pleine reprise des marchés mondiaux des cryptomonnaies, marque une nouvelle ère pour le pays le plus peuplé d’Afrique.

Entrée en vigueur en 2025, la nouvelle loi sur les investissements remplace celle de 2007 et intègre les cryptomonnaies au rang de valeurs mobilières. Elle soumet désormais les plateformes d’échange et fournisseurs d’actifs numériques à la supervision de la Securities and Exchange Commission (SEC). Ce changement intervient quelques mois après la mise en place d’un programme d’incubation accéléré par la SEC, visant à intégrer progressivement les entreprises crypto ayant démarré leur activité avant l’entrée en vigueur des réglementations de mai 2022.

En août, deux plateformes ont reçu une approbation de principe pour démarrer leurs opérations, tandis que quatre autres testaient encore leurs solutions. Cette dynamique laisse entrevoir une ouverture graduelle du marché, soutenue par une volonté claire d’encadrer le secteur.

Selon Obi Emetarom, dirigeant d’une entreprise locale spécialisée dans les paiements blockchain, cette avancée réglementaire n’a fait que renforcer l’adoption des cryptomonnaies, surtout parmi la jeunesse nigériane déjà familière avec ces outils. Il note une hausse constante des utilisateurs, même durant les périodes de forte restriction.

La reconnaissance légale de ces actifs est également saluée par les acteurs du marché comme un levier essentiel de confiance. Pour Oke Umurhohwo, responsable marketing d’une plateforme d’échange basée à Lagos, cela crée un environnement plus sécurisé et prévisible pour les investisseurs, tout en instaurant des obligations claires. Il estime que le Nigeria pourrait devenir un modèle pour d’autres États africains qui hésitent encore à se positionner.

Les cabinets d’analystes locaux, comme SIAO Partners, soulignent quant à eux que la réglementation pourrait stimuler l’innovation dans les services financiers numériques tout en limitant la fraude, encore très présente dans l’écosystème.

Depuis plusieurs années, les cryptomonnaies jouent un rôle central dans les stratégies de contournement des turbulences économiques. Avec une monnaie nationale affaiblie et une inflation persistante, de nombreux Nigérians se sont tournés vers le bitcoin ou d’autres actifs numériques comme refuges. Binance avait même lancé dès 2019 des dépôts en naira pour inciter à l’adoption locale. Mais en 2021, la Banque centrale a interdit aux institutions financières de traiter les cryptoactifs, invoquant des risques de blanchiment et de terrorisme. Une position longtemps ferme, mais qui a fini par évoluer en décembre 2023 avec la levée partielle de l’interdiction.

Toutefois, les relations entre l’État nigérian et Binance restent tendues. L’entreprise est poursuivie pour des pertes économiques estimées à plus de 79 milliards de dollars, ainsi que pour des arriérés fiscaux de près de 2 milliards. L’affaire est toujours en cours devant la justice.

Malgré ces tensions, la régulation en cours redessine le paysage. Si les banques restent encore exclues du marché des monnaies virtuelles, les signaux sont clairs : le Nigeria veut encadrer, sécuriser et capitaliser sur l’essor des cryptomonnaies. Une stratégie qui pourrait rapidement essaimer sur le continent.

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