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vendredi, mars 28, 2025

Catherine Marceline, une femme d’engagement entre droit, médiation et mémoire historique

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Priscilla Wolmer
Priscilla Wolmerhttp://www.54etats.com
FONDATRICE ET DIRECTRICE DU MÉDIA 54 ÉTATS

Avocate, médiatrice, autrice et conférencière, Catherine Marceline est une figure incontournable de la Martinique. Née en 1969, elle a consacré 26 ans de sa carrière au Barreau de Martinique avant de fonder en 2014 la Chambre de Médiation et d’Arbitrage de la Martinique, affirmant ainsi son engagement pour des alternatives pacifiques aux conflits. Parallèlement à sa carrière juridique, elle nourrit une passion profonde pour l’histoire, en particulier celle de la diaspora noire caribéenne. Son travail d’écriture vise à redonner leur juste place à des figures emblématiques trop souvent oubliées. En 2019, elle publie une biographie de Christiane Eda-Pierre, première cantatrice noire de France, suivie en 2022 par celle d’Alain Rézard de Wouves, entrepreneur visionnaire martiniquais. Féministe convaincue, elle milite pour la reconnaissance des grandes figures féminines de l’histoire, notamment à travers son association « Paulette Nardal au Panthéon », créée en 2018. Interview. 

54 ÉTATS : Votre parcours est marqué par plusieurs transitions, du droit à l’écriture en passant par la médiation. Comment ces évolutions se sont-elles imposées à vous ?

Catherine Marceline : J’ai prêté serment en 1997 et exercé plus de 27 ans en tant qu’avocate. Spécialisée d’abord en droit des Affaires, je me suis ensuite tournée vers le droit pénal, puis vers le droit de la famille, notamment dans les divorces conflictuels. C’est à ce moment-là, en 2013, que j’ai pris conscience de la nécessité d’introduire d’autres méthodes pour apaiser les conflits familiaux.

Le jugement de divorce ne suffisait pas à rétablir le dialogue, et les enfants en subissaient souvent les conséquences. Je suis donc devenue médiatrice et ai fondé la Chambre de Médiation et d’Arbitrage de la Martinique afin de promouvoir cette pratique. Aujourd’hui, je me réjouis de voir que la médiation s’est largement développée.

Toutefois, après avoir affronté des problèmes de santé – un cancer du sein et une endométriose sévère –, j’ai ressenti le besoin de me recentrer sur ce qui avait du sens pour moi : l’écriture.

En octobre 2024, j’ai concrétisé un rêve de longue date en créant la maison d’édition PILIBO, dédiée à la mise en lumière des figures inspirantes de la diaspora caribéenne.

54 ÉTATS : Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur des personnalités comme Christiane Eda-Pierre et Alain Rézard de Wouves ?

Catherine Marceline : La transmission. Nous devons connaître nos racines pour mieux construire l’avenir. Un peuple qui ignore d’où il vient ne peut pas avancer avec clarté. Une jeunesse qui méconnaît les figures d’excellence qui l’ont précédée ne peut pas être inspirée pour poursuivre sur cette voie. L’histoire telle qu’elle m’a été enseignée était largement silencieuse sur les grandes personnalités de la diaspora caribéenne. Aujourd’hui, les choses évoluent, mais il reste encore beaucoup à faire, notamment pour la visibilité des femmes.

Mon premier ouvrage sur Christiane Eda-Pierre s’est imposé naturellement : enfant, elle a été la première cantatrice que j’ai vue chanter. Il me paraissait essentiel de consacrer mon premier livre à une femme forte, pionnière dans son domaine.

Quant à Alain Rézard de Wouves, il m’intéressait autant par son parcours d’entrepreneur novateur que par son rôle dans l’histoire martiniquaise. Il fut l’un des quatre fondateurs du célèbre Tour des yoles rondes de Martinique et un héritier des grandes familles du rhum martiniquais. En découvrant que nous étions cousins, il m’a demandé d’écrire son histoire, ce que j’ai accepté avec enthousiasme.

54 ÉTATS : Votre livre, qui dénonce les violences conjugales subies par votre cliente Ingrid Littré, a suscité des réactions très fortes, y compris des menaces à votre encontre. Comment vivez-vous cette situation et quel message espérez-vous faire passer à travers ce récit ?

Catherine Marceline : Pour mon troisième ouvrage, je suis restée également dans le cadre d’une biographie. Ingrid LITTRÉ a été ma cliente pendant cinq dans le cadre des différentes procédures qui l’ont opposées à son ex-mari, le célèbre rappeur KALASH.

 

 

 

 

Cet ouvrage a une orientation plus militante puisqu’il a pour vocation à libérer la parole d’une femme qui s’est tue pendant cinq ans malgré le cyberharcèlement qu’elle subissait de la part de son ex-mari.

Mais surtout, ce livre a permis de mettre en lumière une réalité que subissent des milliers de femmes en Martinique, la violence conjugale.

Ancienne miss et mannequin, influenceuse très connue à la Martinique et aux Antilles, Ingrid LITTRÉ a accepté que j’écrive son histoire, que j’ai replacée dans un contexte générationnel et sociétal de violences.

Le livre est sorti il y a quelques semaines, en décembre 2024, et il a beaucoup fait parler de lui. D’abord parce que nous avons reçu, elle et moi, de nombreux témoignages de femmes vivant des situations similaires. Ensuite parce que, malgré toutes les difficultés que j’ai eues à le distribuer (piratage de la version numérique, retard importants de livraison de la version papier), le livre est quand même un best-seller.

Et, enfin, parce que je fais l’objet de menaces ciblées, précises et ouvertes sur les réseaux sociaux de la part de son ex-mari KALASH. Du jamais vu ! Malgré les menaces et la pression, je tiens bon et je ne lâche rien, je continue à parler du livre et de ce qu’il dénonce un système de violence conjugale qui est inacceptable dans nos sociétés.

54 ÉTATS : Pouvez-vous nous parler de l’association « Paulette Nardal au Panthéon » et de ses objectifs ?

Catherine Marceline : En 2014, j’ai découvert la richesse du parcours de Paulette NARDAL au moment où je préparais la biographie de sa nièce, Christiane EDA-PIERRE.

Paulette NARDAL est la première étudiante noire à la Sorbonne, avec un cursus d’anglais qui la rendra complètement bilingue. Première femme noire journaliste de France, elle également été attachée parlementaire de deux députés, le martiniquais Joseph LAGROSILLIERE, puis le sénégalais Galandou DIOUF. Elle est co-fondatrice de la revue littéraire, La revue du Monde Noir. En ouvrant les portes de son salon, à Clamart, elle a permis à des intellectuels noirs du monde entier de se rencontrer et initié un véritable internationalisme noir. C’est cet internationalisme noir qui a permis à Aimé CÉSAIRE, Léopold CEDAR SENGHOR et Léon Gontran DAMAS, des années plus tard, de créer le mouvement de la Négritude.

Militante pour la paix, Paulette NARDAL a participé aux mouvements de protestation des invasions qui ont précédé la Seconde Guerre Mondiale. Rentrée à la Martinique après avoir été blessée au début de la guerre, elle participe au mouvement de résistance contre le régime de l’Amiral Robert, émissaire de Vichy. Elle est également à l’origine d’un mouvement et d’une revue féministes, sans parler de son travail d’historienne, notamment de la musique créole et noire-américaine qu’elle a fait connaître en France. C’est pour toutes ces raisons que j’ai eu envie de rendre public son travail et son parcours, notamment en demandant son entrée au Panthéon, par l’apposition d’une plaque.

J’ai crée l’association « Paulette NARDAL au Panthéon » en 2018 afin de mieux structurer le travail de mise en lumière de cette grande figure. Depuis, plusieurs rues, voies, bâtiments et salles portent son nom. Et c’est avec une immense émotion que j’ai pu voir que cette femme exceptionnelle faisait partie des dix femmes mises à l’honneur durant la cérémonie des Jeux Olympiques de Paris 2024.

Le travail de réseautage continue et j’espère qu’un jour le Président de la République, seul habilité à prendre cette décision, acceptera de lui rendre l’hommage de la République par une panthéonisation.

54 ÉTATS : Quels défis avez-vous rencontrés en tant que femme dans le milieu juridique et littéraire en Martinique ?

Catherine Marceline : Évoluer en tant que femme dans une société encore largement imprégnée de patriarcat, comme c’est le cas en Martinique, représente un défi majeur : celui d’être entendue. Qu’il s’agisse de mon engagement en tant qu’avocate ou de mon travail d’autrice, notamment sur la question des violences faites aux femmes, il faut sans cesse lutter pour faire entendre sa voix. C’est d’ailleurs cette réalité qui m’a poussée à fonder ma maison d’édition, PILIBO, avec pour mission de libérer la parole. Ce combat me tient profondément à cœur.

54 ÉTATS : Comment percevez-vous l’évolution de la place des femmes aux Antilles ?

Catherine Marceline : Les femmes occupent aujourd’hui des postes de plus en plus variés et stratégiques. Pourtant, un domaine reste encore insuffisamment investi : la politique. C’est pourtant l’un des leviers essentiels pour impulser des transformations sociétales, influencer l’action législative et accéder à des rôles de gouvernance visibles. Malheureusement, les résistances patriarcales persistent, et les femmes qui osent s’y engager sont souvent confrontées à des formes de stigmatisation plus violentes que leurs homologues masculins.

En parallèle, la structure familiale majoritairement monoparentale en Martinique, avec des foyers souvent dirigés par des femmes, complique davantage leur accès à la sphère politique. Jongler entre responsabilités familiales, vie professionnelle et engagement politique représente un défi immense.

54 ÉTATS : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes noires qui souhaitent faire carrière ?

Catherine Marceline : Mon premier conseil est d’oser.

Oser rêver grand, viser l’excellence dans les études, les affaires ou toute autre ambition professionnelle.

Pour cela, il est essentiel de développer certaines compétences clés : apprendre à s’exprimer avec assurance pour prendre la parole en public, se former en continu, et surtout, comprendre dès le départ que la santé – en particulier la santé mentale – est un capital inestimable.

Le deuxième conseil que je donnerais est de privilégier la solidarité féminine. Il est temps de dépasser les rivalités inutiles et de bâtir de véritables réseaux d’entraide entre femmes, afin que chacune puisse accéder aux sphères de décision.

Enfin, il est primordial de choisir son entourage avec exigence, y compris son partenaire de vie. Trop souvent, les femmes sont poussées à sacrifier leurs ambitions pour s’adapter à leur couple. Or, aucun rêve ne devrait être compromis pour quelqu’un d’autre.

54 ÉTATS : Quels sont vos projets futurs ?

Catherine Marceline : Je suis actuellement en train d’achever mon quatrième ouvrage, une biographie de Paulette NARDAL, qui sera publiée chez PILIBO d’ici la fin de l’année. Ayant quitté le Barreau pour me consacrer pleinement à l’écriture, mon ambition est de publier régulièrement des biographies afin de transmettre des récits inspirants.

Par ailleurs, je prépare un documentaire sur les violences faites aux femmes en Martinique. Ce projet vise à explorer les racines de cette réalité alarmante, mais aussi à proposer des pistes concrètes pour en sortir.

54 ÉTATS : Catherine Marceline, le média 54 ÉTATS vous remercie et a hâte de vous retrouver le 22 mars prochain de 14h00 à 18h00, à l’Hôtel Hilton Paris Opéra afin de célébrer la Journée internationale des Droits des Femmes avec la Fondation Manassé

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